La [transe-en-danse] du Miroir initiatique

De Narcisse en Alice, grâce au symbole du Miroir, certains Rites et Rituels nous proposent une quête de nos profondeurs afin d’opérer en nous la promesse de l’aube proposée par la Voie de l’Art Royal. C’est en plongeant à travers sa symbolique proposée par la démarche initiatique que nous pourrons, de spirale en spirale, tenter de résoudre l’éternelle question la plus intime qui soit : qui suis-je ?

De Narcisse en Alice, grâce au symbole du Miroir, certains Rites et Rituels nous proposent une quête de nos profondeurs afin d’opérer en nous la promesse de l’aube proposée par la Voie de l’Art Royal. C’est en plongeant à travers sa symbolique proposée par la marche initiatique que nous pourrons, de spirale en spirale, tenter de résoudre l’éternelle question la plus intime qui soit : qui suis-je?

Nous nous trouvons tous, un jour ou l’autre, confrontée à notre image. La façon dont nous agissons ou réagissons face à cette image fait aussi de nous ce que nous sommes. Si, en société, notre image nous est renvoyée tronquée par notre ego et le regard de l’Autre, au cœur de notre solitude matinale c’est à une fine et fragile couche de sable chauffée, doublée d’une couche réfléchissante d’aluminium ou d’argent et d’un tain fait de plomb ou de cuivre que nous confions la responsabilité de notre image lors de nos ablutions hygiéniques journalières. Ce n’est qu’après cette première étape de l’intime que nous confions à l’Autre notre image illusoirement maîtrisée. Certains l’expose au monde par l’intercession réflexive de leur téléphone portable afin de se réaliser dans la réalité au silicium anthropocène de nos réalités augmentées. Ce reflet de Narcisse devient alors accessible à tous dans l’espérance d’une universalité que l’on voudrait pourtant unique…. Cathédrales de sable érigées sur le sable comptant les heures bleus avec la fragilité annoncée d’un verre à peine refroidit… mais… sans moi… sans l’autre… qui suis-je? En soi, avec l’autre, serions-nous “nous” tout en étant “je”?

La complainte du Miroir – 1/5 – ©Stefan von Nemau

Le Miroir de Narcisse : Connais-toi toi-même

Je n’ai pas de réponse définitive à ces si vastes sujets toujours en mouvement. L’image que j’ai de moi me renvoi plus au Mercure qu’au Soufre ou au Sel. De ce fait, je ne peux que partager ici les intuitions que j’ai reçu, par l’Initiation que j’ai vécue, au Rite Écossais Ancien et Accepté de la Grande Loge De France et la Connaissance que j’ai tiré de mon Chemin de vie et artistique.

En Franc-maçonnerie, le Miroir m’a présenté une première porte possible dès le Cabinet de Réflexion(s), la seconde m’est apparue dans la Chaîne d’Union. Si j’ai franchi allègrement la surface la seconde Porte-Miroir en jouant les Alice j’avais oublié la première! Les épreuves m’ont vite fait comprendre que dans un premiers temps, il serait initiatiquement plus question de Narcisse que d’Alice ! Il s’est opéré lors de l’ouverture de ce premier rideau initiatique une diffraction optique de l’image que j’avais de moi-même. Elle a retrouvé son unité lors de mon troisième acte. « À nos actes manqués ! » nous disent les ménestrels et les alchimistes de l’âme. Freud parlait lui d’Unheimlich.

Dans ma quête artistique, j’ai pu conter mes explorations dans un travail, présenté sur table au jury de l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles. Ce projet d’installation artistique, initiatique et surréaliste avait pour nom Unheimlich. Il m’a permis de valider le Master 2 de cette école consacrée à la photographie plasticienne. A l’origine, ce travail était une Planche s’appuyant sur l’image et la langue des oiseaux et présentée en vidéo-projection en Loge sous le nom “Le testament de Narcisse”.  

Dans cette quête des profondeurs nous invitant à explorer notre Nadir il convient de rencontrer des nautoniers avisés. Dans son œuvre, Carl Gustav Jung prévient, des risques encourus, l’explorateur imprudent qui se laisserait griser par la narcose, tout en attestant de la qualité du minerai rencontré lors de ses plongées. C’est aux Sœurs et Frères entourant l’Apprenti de veiller, autant que faire ce peu à ce que par l’ivresse des profondeurs il ne devienne pas lui-même la part des anges de son exploration. Cependant le juste équilibre individuel est à trouver car de ce minerai récolté dépend le Grand Œuvre de ce énième apprenti “Capitaine Nemo” parfois imprudent. Si en latin “Nemo” signifie “personne” on lui trouve d’autres sens dans d’autres langues : livre, rectangle, homme, distribuer, partager…

“Celui qui combat des monstres doit prendre garde à ne pas devenir monstre lui-même. Et si tu regardes longtemps un abîme, l’abîme regarde aussi en toi.”

 Aphorisme 146 – Par delà le bien et le mal – Friedrich Nietzsche

La complainte du Miroir – 2/5 – ©Stefan von Nemau

Le Miroir au Rite Écossais Ancien et Accepté

Au Rite Écossais Ancien et Accepté de la Grande Loge De France le Miroir fait sa première apparition dans le Cabinet de Réflexion. C’est dans ce premier reflet rencontré, dans l’intime pénombre de la lueur d’une bougie que se déroule l’épreuve de la Terre. Cette plongée dans son reflet invite le Profane à se percevoir Narcisse au bord de l’étang, plongé dans les reflets multiples de ses réflexions philosophico-testamentaires. Il pense coucher là sur le papier, ce qui compte le plus pour lui, ce qu’il a de meilleur… et c’est ce meilleur de lui-même qu’il pensait léguer à la postérité qui sera brûlé et plongé dans l’eau de l’oubli. Il ne le sait pas encore mais tout ce qu’il n’a pas écrit, ce qu’il a gardé en lui donc, deviendra ce Plomb qu’il devra transmuter.

Si le « Tout » est le Miroir et l’image s’y reflétant, ce “Tout” est aussi tout ce qui entoure l’objet de verre, d’argent et de plomb. C’est la première phase de la mise en abîme initiatique, lorsque le “un” trouve une place dans l’équation métaphysique prescrivant au cœur de l’Ouroboros : “Un, le Tout” .

Le nautonnier
Le nautonier – Photocollage, photographie veranculaire 19° et prise de vue numérique – Série Unheimlich – 30 x 30 cm – Exemplaire unique – 2015 ©Stefan von Nemau

Il en est aussi ainsi du Miroir tendu au Néophyte par son Présentateur dans la Chaîne d’Union. Après lui avoir expliqué que l’ennemi le plus à craindre se trouve le plus souvent derrière soi, il lui est demandé de se retourner. Il se retrouve alors face à sa propre image dans le Miroir tendu devant lui par le Frère présentateur qui est le plus souvent celui qui a pris l’engagement rituel d’être son Parrain, son tout premier nautonier. C’est la seconde apparition du Miroir au R.E.A.A. Là aussi c’est l’Univers Symbolique tout entier qui est à embrasser et embraser. Ce Miroir n’est qu’une « Fenêtre sur cour » où l’initié encore prisonnier de sa Loge ne peut confronter sa vision qu’aux ombres passant devant les Fenêtres grillagées de sa caverne. C’est le second Miroir, celui permettant la mise en abîme de la démarche Initiatique.

C’est par son assiduité, son engagement au Travail, sa Fraternité sans-cesse en révélation et, au besoin, au secours de ses Frères que l’initié franchira les “étapes-reflets” uniques de son Voyage dans sa nuit, guidé par la lumière flamboyante de sa bonne étoile. Mais, à chaque étape il retournera au Miroir et dans le Secret Sacré de son Intime peut-être percevra-t-il de plus en plus le vaste Univers dont il n’est qu’une infime partie tout en en étant le Tout. Se connaître soi-même commence par visiter son royaume intérieur. C’est l’inventaire dans les “prés verts” du poète, du philosophe et de l’alchimiste.

Le ternaire Miroir-image-celui qui le tient

Je me suis toujours naïvement demandé comment, dans le Tarot de Marseille, l’ermite pouvait aller de l’avant tout en regardant en arrière. Peut-être se sert-il d’un miroir comme un rétroviseur permet de faire une marche arrière en voiture. Dans le cas de l’ermite, ce rétroviseur lui permettrait-il de percevoir un futur possible dans la trajectoire inversée de son chemin dépassé ?

Etude au crayon autour de l’ermite pour un prochain O.G.N.I (objet graphique non identifié)

De plus, l’occidental que je suis lis et écrit de gauche à droite. Si par convention on peut dire que le Passé est symboliquement à gauche et l’Avenir symboliquement à droite, Le miroir, par l’inversion de cette latéralité, peut-il permettre de percevoir l’avenir par la supposée simple exploration du Passé? L’exploration de l’Avenir et du Passé varient-ils selon le sens de lecture et d’écriture? Sont-ils justes de simples déductions? Quid alors de la symbolique de la courbe du Temps dans les textes de la Tradition écrits en araméen, hébreux, arabe et autres langues du moyen-orient et traduits en grec, latin, français et autres langues occidentales? Et je n’ouvre pas ici le débat sur la symbolique de la verticalité/latéralité des textes d’extrême-orient!

Nous sommes notre plus grand inconnu

Le mot important ici est “inversé”. Le miroir nous propose une image de nous telle qu’elle est perçue par l’autre. Il nous propose une image où sa droite est à ma gauche et ma gauche à sa droite. De même, lorsque nous prenons un “selfie” de nous-même ou que nous sommes filmés pour un “Zoom” via la caméra frontale de nos téléphones ou tablettes, nous regardons une image miroir, donc inversée, de nous-même. Seul le photographe peut prendre une image justement coordonnée de nous… sauf que lorsque nous la regarderons sur le papier ou l’écran, notre gauche sera à droite et notre droite à gauche. Nous nous percevons donc toujours tel que l’autre nous perçoit lorsque nous sommes face à cet huis de vert argenté.

Petit exercice : amusez-vous à annuler l’effet “miroir” de votre caméra et rencontrez l’étrange étranger qui s’y trouve. Vous reconnaîtrez-vous comme tel?

Heureusement, la nature est bien faite et vient compenser cela. Observez-vous attentivement dans un miroir… vous ne verrez de vous qu’un seul côté. Il est impossible d’observer en même temps et nettement nos deux yeux. Nous pouvons jouer avec l’arrête du nez tout au plus mais même dans ce cas le reste de notre visage est flou. Rappelez-vous l’épisode du borgne avec Louis De Funès dans La Folie des Grandeurs !

Une réponse possible à l’énigme de l’ermite et celle de l’inversion de la latéralité-polarités-temporalité (droite-gauche) de l’image, nous est donné par le Rituel du R.E.A.A : “… C’est les lumières du passé que l’on se dirige dans l’obscurité de l’avenir!”.  Ainsi si l’image perçue n’est pas la Réalité, elle peut cependant être une lumière éclairant le Chemin qui y mène.

La complainte du Miroir – 3/5 – ©Stefan von Nemau

Pourquoi observer et questionner en conscience tout cela?

Parce que même si “l’ennemi” vient parfois de derrière soi, le vaste monde n’est pas le Miroir. Le Miroir n’est que la fenêtre d’une image tranchante, friable et fragile comme le cristal dans lequel se reflète notre ego. Comme nous, le Miroir est partie du Tout mais il n’est pas le Tout, et comme nous dépendons aussi de celui qui tient le Miroir il convient de prendre soin de l’autre comme nous prenons soin de nous car nous ne formons qu’un à ce moment sans oublier que nous ne sommes pas que notre image ou notre reflet.

Faisant partie d’une Loge de St Jean, je vais citer son Évangile [appréhendé comme texte de la tradition], lorsque Jésus dit lors de son dernier repas: 

« Je vous donne un commandement nouveau: c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres. À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous avez de l’amour les uns pour les autres » 

Evangile de Jean chapitre 13, versets 34 à 35

Je citerai aussi Victor Hugo :

… persistons, nous qui voulions qu’on promette et non qu’on menace, nous qui voulons qu’on guérisse et non qu’on mutile, nous qui voulons qu’on vive et non qu’on meure.

Ces grandes lois d’en haut sont avec nous. Il y a un profond parallélisme entre la lumière qui nous vient du soleil et de la clémence qui nous vient de Dieu.

Il y aura une heure de pleine fraternité, comme il y a a une heure de plein midi. Ne perds pas courage, ô pitié! Quant à moi, je ne me lasserai pas, et ce que j’ai écrit dans tous mes livres, ce que j’ai attesté par tous mes actes, ce que j’ai dit à tous mes auditoires, à la tribune des pairs comme le cimetière des proscrits, à l’assemblée nationale de France comme à la fenêtre lapidée de la place des Barricades de Bruxelles, je l’attesterai, je l’écrirai, et je le dirai sans cesse : il faut s’aimer, s’aimer, s’aimer !

Victor Hugo , juin 1875

Le Miroir d’Alice : la Loge et l’univers initiatique où se tisse le fil de Soi[e] par la quête de l’Autre

Ent[r]er dans le miroir – ©Stefan von Nemau – Aquarelles & album photo 19° – O.V.N.I – 2013

Donc toute image est contenue dans un volume, lui-même rattachée à son cadre de référence. Ainsi, le Miroir initiatique, lorsqu’il est présent matériellement dans un Rite et dans un Rituel, ne peut pas être détaché de celui-ci. Pour autant, son absence matérielle ne signifie pas pour autant son absence spirituelle. Ne pourraient-on pas convenir que le Tout formé par la Loge, dans sa globalité humaine, spirituelle et matérielle est un Miroir qu’il nous faut traverser?

Dans “La traversée du miroir”, suite “d’Alice au pays des Merveilles”, écrit en 1871 par Lewis Carrol, c’est en traversant le miroir que le pion symbolisé par Alice devient Reine à l’issue des épreuves traversées, comme l’Apprenti devient Compagnon puis Maître et au delà si la Voie Initiatique, son Travail et l’envie lui rendent cela possible. Peut-être est-ce cela la seconde partie, plus récente, de la citation : “…et tu connaîtras l’univers et les dieux!”. Le Miroir est un univers asymétrique clos, une enceinte à l’intérieur de laquelle s’écoule l’amniotique voie qui mène de soi à la Soie.

A nos symétries asynchrones ! - Photomontage numérique ©Stefan von Nemau - Photographie originale ©Bruno Vigneron
A nos symétries asynchrones ! – Photomontage numérique ©Stefan von Nemau – Photographie originale ©Bruno Vigneron – 2024

Même si nous sommes inlassablement tentés par la symétrie, humainement elle n’est pas l’équilibre et l’image qu’elle renvoie donne naissance à des monstres. Ainsi, peut-être que l’image que nous nous faisons de la Loge est conforme à celle que nous nous faisons de nous-même, de notre Chemin, de nos représentations intérieures… peut-être que la Loge est un autre Miroir contenant une image particulière à chacun, commune à tous dont nous ne percevons qu’un côté.

Le Miroir du pair : « reconnu comme tel »

Enfin, si je suis la logique du Miroir, si “mes pairs me reconnaissent comme tel” c’est que “Je” devrais me reconnaître comme « Tel », dans mes majuscules et mes minuscules. Je ne parle pas ici d’une certitude « egotique » de soi conférée par une initiation « rituellique » sans âme où “je” serait un “jeu” mais bien d’un processus lent et mystérieux où le “Je” est [l’enjeu – lent jeu – l’ange – lange] lorsque l’obscur lumineux se fragmente et devient numineux, ou lorsque les antagonismes se transcendent en oxymore.

La complainte du Miroir – 4/5 – ©Stefan von Nemau

Tel serait “l’en-je” de la traversée?

L’Initiation, dans ses injonctions Nietzschéenne nous dit “Va et deviens!”. Elle finit même par nous chasser du Temple pour nous forcer à emprunter notre seul Chemin, celui de notre confrontation au monde et sa réalité brute; non celui de notre conformation à celui-ci et ses normes de papiers, par delà nos illusions calcinées et nos incohérences mortifères. Le Chemin de l’expérience réalisée est le Chemin de la véritable reconnaissance spirituelle de soi, d’un état d’être au monde, lorsque l’initié rencontre son Feu spirituel intérieur et s’embrase en “Ignitié”.

Quel que soit notre genre humain, cette ignition est un état que nous atteignons parfois lorsque nous oublions le Miroir, l’image, les sens et leurs représentations ; lorsque nous cessons de vouloir à tout prix féconder le monde de notre empreinte revêtue du sceau d’une illusoire supériorité misogyne ou misandre. C’est en réalisant pleinement notre  “Soufre solaire” et notre “Mercure Lunaire” que leur union dans la danse du “Sel vivant” traversera le verre, l’argent et le plomb du Miroir dans l’espoir assumé de l’Unité retrouvée.

Parmi les questions restées sans réponse celles-ci me tracassent : comment sortir de l’illusion du Miroir? En brisant sa “mal-diction”, en le transcendant ou bien encore en le laissant baigner dans une lumière d’indifférence?

Vivre le symbole du Miroir c’est [perce-voir] l’unité du monde qui nous entoure et que nous traversons pour mieux y renaître. [Perce-voir] c’est quitté la persistance rétinienne laissée par le feu des ombres de la caverne qui nous enferme à l’intérieur de ce [vert] que l’on voulait [di-amant]; c’est accepter d’Être sans [ça-voir]; c’est accueillir [l’évide-danse]; c’est vivre le sable en [ça-bleu] dans lequel volent les alouettes d’un miroir oublié par la [pleine].

“Prends place, fais Silence et vis l’instant!” me murmure encore mon nautonier depuis [l’Or-Riant] [éther-né-Elle]…

La complainte du Miroir – 5/5 – aquarelle sur papier ©Stefan von Nemau

Article de septembre 2024 publié sur www.450.fm dans la rubrique Miroir de spiritualité

A lire aussi sur 450.FM :

« La vitre et le miroir » de Franck Fouqueray

“Miroirs dites-moi qui je suis” de Solange Sudarskis

 

 

La chenille se souvient-elle du papillon?

Il était une fois une petite chenille, humble et frêle. Elle était colorée de noir, de rouge, de jaune et avec des points blancs. Elle était si frêle et si fragile que mère nature lui avait donné de longs poils urticants pour se défendre. Et, avec le temps, les doigts du ciel ne l’approchaient même plus pour la toucher…

Chrysalides par Stéphane Chauvet
Photographie tirés de la Série « Les cas d’havres exquis »

Il était une fois une petite chenille, humble et frêle. Elle était colorée de noir, de rouge, de jaune et avec des points blancs. Elle était si frêle et si fragile que mère nature lui avait donné de longs poils urticants pour se défendre. Et, avec le temps, les doigts du ciel ne l’approchaient même plus pour la toucher.

Je ne sais si elle avait une quelconque conscience d’elle-même ou bien de sa destinée. Elle n’était qu’un insecte rampant, se nourrissant de feuilles d’arbres fraiches, de mousses ou de champignons. C’était bien là son occupation principale. Parfois, avec ses sœurs chenilles elles se réunissaient en de longues processions et elles rampaient.

Un jour, sans qu’elle sache ni pourquoi, ni comment, un fil de soie sortit de son corps. Sentit-elle alors qu’il était temps ? Que son moment arrivait ? Ou bien, ne sachant que faire de tout cela décida t’elle d’y trouver une quelconque utilité ou même un sens ?

Bref…

lle fit ce que sait faire toute bonne chenille arrivée à son Temps : elle s’enroula dans son fil de soie. Peut-être crut-elle que cela allait la protéger ? Peut-être savait-elle ce qu’il allait advenir ? En attendant, ce qui devait la protéger était devenu si dense qu’elle s’y enferma sans même s’en rendre compte. Ce qui devait être un écrin était devenu cocon.

Jours après jours elle se liquéfia. Tout son être était devenu visqueux, acide, glauque, soufre et couleur de terre… Dans ce cocon devenu chrysalide, tout son être changea de forme et de raison d’être… Ses yeux s’agrandirent, ses mâchoires devinrent trompe, son dos se fendit en deux pour laisser apparaître ce qui allait devenir des ailes.

Si un curieux avait voulu observer l’intérieur du cocon, il aurait fallu qu’il coupe le fil de soie pour l’ouvrir sans attendre que l’œuvre soit achevée. Cette curiosité aurait interrompu cette miraculeuse alchimie qu’est la vie pour n’en percevoir qu’une putréfaction mortuaire éphémère.

Calfeutrée ainsi au cœur de sa soie, elle n’était plus que chaleur du soleil, humidité de la pluie, air du vent, acidité de la terre.

Lorsqu’elle sentit que le Temps était accompli son abdomen se gonfla et la chrysalide s’ouvrit laissant émerger un papillon. Il extirpa ses ailes encore molles et gluantes, son corps puis enfin sa tête de la gangue de soie qui avait jusqu’alors protégé son œuvre.

l ouvrit ses yeux aux mille facettes et découvrit en même temps, à la grâce de ses mille regards, ce qu’il avait été : un cocon, et ce que la métamorphose avait accompli : un papillon.

Si un bon samaritain avait voulu l’aider à sortir de sa citadelle de soie il aurait brisé l’élan de sa détermination et de ses efforts. Et ce sont les efforts et la détermination qui font la force et la possibilité du vol.

Le soleil termina de la sécher doucement. Le mucus devint poudre bleue sur ses ailes irisées… Un battement… Deux…

Puis…

Il partit se nourrir aux calices des fleurs et ainsi les féconder. Se souvint-il un jour qu’il en avait dévoré les feuilles lorsqu’il avait été chenille ? Nul ne le sait. Nul ne sait même si il se souvenait avoir été chenille.

La nature des choses avait amenée la chenille au bord de son envol. Son envol fragile mais puissant, dans cette fin de vie devenue brève, tenait du miracle de la transmutation et de la nature profonde et inexplicable du Secret de la Vie. Il avait pris naissance dans le cœur d’une chenille par le don de soie transmuée pour renaître dans l’envol éphémère d’un papillon aux ailes bleues filant vers l’azur.

Une seule question subsiste cependant : la chenille se souvient-elle du papillon?

Stefan von Nemau

Le choix des vivants

J’ai visité tes humides catacombes,
Tes vals obscurs iridescents dans l’onde,
Miroir aux fantasques, papillons enchantés,
Chrysalide de soie aux parfums doux musqués.

J’ai visité tes humides catacombes,
Tes vals obscurs iridescents dans l’onde,
Miroir aux fantasques, papillons enchantés,
Chrysalide de soie aux parfums doux musqués.

J’ai semé en toi mon ultime espoir,
Celui d’enfanter du creuset laminoir,
C’est l’épreuve de la foi, malgré le temps mouvant,
Devenir des époux gémellaires amants.

Tu dois quitter cet il pour faire ce voyage.
Avec incertitude pour unique bagage.
Tu revisites tes peurs, transes acides fragrances,
Oubliant parfois que l’Amour est seule chance.

Difficile de laisser celui que l’on a tant aimé,
Qui de nous n’a laissé qu’une image souillée,
Dans le reflet d’une vitre embuée sur la rue,
Tissant son retour, Pénélope mise à nue.

Lorsqu’on fini par voir que cette servitude,
Est la chaine mordante de notre solitude.
Il n’y a parfois pas d’autre choix pour s’en libérer.
Que la ceinte cheville gangrenée, amputer.

C’est souvent le prix de la Liberté,
Celui du sacrifice accepté, assumé.
Aimer, vois-tu, est le choix des Vivants,
L’enchainé est lui un mourant survivant.

Stefan von Nemau (2017)

A l’ancre noire je me suis endeuillé

J’ai laissé ma raison appareiller de Cythère,
Laissant Aphrodite dans l’écume des flots,
Effacées chaque goutte par les vagues éphémères.
Son visage, sa main, la douceur de son dos,
S’enfoncent au panthéon des sels d’argent solarisé.

J’ai laissé ma raison appareiller de Cythère,
Laissant Aphrodite dans l’écume des flots,
Effacées chaque goutte par les vagues éphémères.
Son visage, sa main, la douceur de son dos,
S’enfoncent au panthéon des sels d’argent solarisés.


Il ne peut en amour y avoir de raison,
Juste parfois une mortelle oraison.
A qui n’a pas brûlé la douleur insupporte,
Qui a trop irradié seul Chronos l’emporte.


Je n’ai pas choisi les rencontre orphiques,
Qui semblaient vu de loin des odes magiques.
Je ne peux me résoudre encore à plonger,
Dans les eaux abyssales du fleuve Léthée.


Tu n’as pas franchi le Styx avec moi bel amour,
Peut être, sur une rive, nous croiserons nous un jour.
Je me suis engagé en saignant mon écrit,
Je redeviens vampire au pays des zombies.


De mon âme immortelle je vais donc briller,
Aux délices de leurs sucs je vais me rassasier.
Leur montrer le chemin de l’errance éternelle,
Celle qui prend fin dans la nacre charnelle,
D’un désir violent ouvert aux troublants,
Comme l’absente absinthe des poètes conquérants,
Que je refuse de boire contre vents et marées.


Je me veux être Amant, et non chien errant.
Je n’ai pu être roi, c’est aussi bien ainsi,
Je range mon sceptre dans le coffre de l’oubli,
Et écrire pour que cesse cet écho déchiré,
Celui que ton silence, en moi, fait brûler.

Stefan von Nemau

Le poids du vide en ma main

Un soir en traversant le pont,
J’ai parlé à un homme, il regardait vers le fond,
Son esprit déjà dans l’amer du tréfonds.
J’ai lâché les mots et malgré attention,
Il a sauté avec détermination.
Je l’ai retenu par la main, visage et béton.
D’autres ont aidé, Temps en suspension.
Sisyphe voulait mourir, il l’a crié, crié et crié.
Ma peur me hurlait de ne pas l’écouter,
Mon instinct murmurait : « Laisse le s’en aller ».
C’est lorsque son nom je lui ai demandé…

Un soir en traversant le pont,
J’ai parlé à un homme, il regardait vers le fond,
Son esprit déjà dans l’amer du tréfonds.
J’ai lâché les mots et malgré mon attention,
Il a sauté avec détermination.
Je l’ai retenu par la main, visage et béton.
D’autres ont aidé, Temps en suspension.
Sisyphe voulait mourir, il l’a crié, crié et crié.
Ma peur me hurlait de ne pas l’écouter,
Mon instinct murmurait : « Laisse le s’en aller ».
C’est lorsque son nom je lui ai demandé,
Qu’il a ouvert ses doigts et de lui n’a laissé,
Que le son de son envol dans le fleuve, décidé…


…Et le poids du vide en ma main….

Il a vogué dans le courant, un éternel moment.
Un Charon anonyme de la rive a nagé.
Et sur le bord de sa vie l’a recouché.
Allongé sur la berge Sisyphe est survivant,
Peut être était il mort il y a bien longtemps,
A pousser son rocher sur la montagne de l’instant.


…Je sais combien pèse une vie c’est certains…
…Pas plus que le poids du vide en ma main…

Il est des maux où les mots ne pèsent rien,
Que l’eau du vide répandu en sa main.
Clepsydre vidée je fais le bilan :
Des anonymes s’unissent pour sauver un Sisyphe.
Ils ne le connaîtront pas, c’est un élan de foi.
Pris dans mon orgueil de n’avoir pu seul empêcher,
Ce saut dans le vide de cette âme damnée,
J’en ai oublié qu’une chaîne d’hommes unis,
A pu ce soir là, sauver une vie.
Si ce n’est celle de Sisyphe, car elle lui appartient,
C’est au moins la leur, qu’ils tiennent entre leurs mains.
Par le poids du vide en ma main révélé,
C’est ma vie, que Sisyphe a sauvé.


… Je sais maintenant combien …
… Pèse le temps filant dans ma main …

Stéphane Chauvet (2012)