L’espoir Polaris

Beau comme la rencontre fortuite d'une machine à coudre et d'un parapluie sur une table de dissection - Man Ray - 1932/33 - in SURREALISME - Centre Beaubourg ©Stefan von Nemau
Beau comme la rencontre fortuite d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table de dissection – Man Ray – 1932/33 – in SURREALISME – Centre Beaubourg ©Stefan von Nemau

Dans son bureau du Northern Star1, à la proue de sa machine à encrer, il sent les murs s’assombrir peu à peu. Il écoute la vie au rythme des battements des barres à caractères battant le papier. Le bruit révélant le rythme des mots le plonge dans une demi attention. Peu à peu les lettres s’encrent de noir-lumière… peu à peu les ombres deviennent l’Ombre… peu à peu les vibrations du dehors se distendent, de plus en lus graves et distantes, tel le battement d’un cœur vieillissant… s’apaisant dans les lambeaux de cire molle qui s’étalent, obscènes, sur cette table de dissection rachetée à prix d’âme à l’homme solaire2 au rayon alchimique ayant réconcilié le jour et la nuit en un même portrait de famille solarisée.

C’est ainsi qu’il perçoit les mots… c’est ainsi aussi que le Voyageur descend de son étoile noire et apparaît. Son corps diaphane se détache de l’ombre au spectre résiduel… aujourd’hui c’est de la bibliothèque qu’il apparaît. Visiblement il existe aussi des portes dans l’épaisseur du papier, entre les pairs et un-perd, voile de soi déréalisé où l’un se cache et se délite tandis que l’autre se tisse et dévoile… équilibre… ô capitaine au frêle esquif titubant, vers quel ailleurs tes étoiles te mènent-elles?

Collection permanente du musée des Confluences à Lyon ©Stefan von Nemau
Collection permanente du musée des Confluences à Lyon ©Stefan von Nemau

L’immanence nue de l’Inconnu se révèle peu à peu plus dense… l’ombre devient comme matière noire… puis mélasse organique comme celle qu’il a pu rencontrer parfois dans les charniers de restes informes en décomposition. L’organique s’assemble, se rassemble, se réunit jusqu’à ce que son corps se forme…

C’est étrange… pourquoi parler de corps alors que cette forme étrange n’a pour l’instant rien d’humain… un corpus de gluons tout au plus… mais ses yeux se brouillent, il ne perçoit plus que la buée de la bouilloire en train de siffler… les gouttes d’eau referment la fenêtre…  

Ça y est!

Imperceptiblement il a franchi le seuil de l’Antremonde. Son esquif-bureau est devenu corbeau… il devient un gluon du Voyageur. C’est ainsi, pour voyager dans toute tessiture qui se dévoile il faut un nautonier avec son passager du vent, avec la barque, les trois forment un tout.

Collection permanente du musée des Confluences à Lyon ©Stefan von Nemau
Collection permanente du musée des Confluences à Lyon ©Stefan von Nemau

Assis sur une branche de son vaisseau-étoile au noir le plus absolu il lui laisse le temps d’accueillir ses murmures, de dessiner ses moutons3. Pour accéder à l’Antremonde de la Surréalité il faut traverser le pédiluve de la Raison résonnante et tonitruante et s’en décontaminer. Ici il n’y a pas de combat intellectuel entre immanence et transcendance puisqu’ici les deux ne sont qu’une et une seule Lumière révélée par celui qui la reçoit. Ici nulle digression autour du coq, de la poule et de l’œuf puisqu’ils ne font qu’un. Ici tout change de nom en fonction du Temps depuis lequel ont le perçoit grâce à nos sens.

Le Nautonier et son voyageur sont assis sur le bord de la machine à ancrer qu’un autre reflet de lui-même actionne pour graver les caractères sur le papier avec cette fine couche d’encre arrachée au ruban de la vie4. L’encre et l’ancre se mêlent, les mots perdent leurs sens communs… Par quelle opération alchimique, ou même magique, se chargent-ils de sens nouveaux? Sont-il symboles, Art ou simple expression d’un indicible que chacun s’emploie à tenter de comprendre? Ces mots sont-il de simples feuilles d’arbres révélant juste la tessiture du vent qui les agite? Et si ils ne sont que simples feuilles d’arbre, que va t’il advenir lorsque l’hiver venu, et les feuilles tombées, la subtilité du vent ne pourra plus être révélée?

"L'ancrage" du Noir - Série "Les hasards objectifs" - Photographie - 2024 ©Stefan von Nemau
« L’ancrage » du Noir – Série « Les hasards objectifs » – Photographie – 2024 ©Stefan von Nemau

La “Surréalité” est-elle miscible dans l’Antremonde de l’Art Royal? Est-il ici seulement question d’âme? La chair quitte les eaux comme la cire lâche la flamme… la gangue de l’ombre parapluie s’éprend de “l’art-éole” d’un saint au cœur machine à coudre… humanoïde patchwork aux lambeaux rapiécés par la déraison scientiste d’un docteur qui voulut être Dieu5… Lucifer déchu poursuivit par son étoile à l’aurore de son destin… Pour être recyclé tout doit être désuni aussi les Parques rembobinent leur fil et les marionnettes se défont… la vie se détisse libérant l’oubli lorsque la soie s’effiloche. Lorsque la navette du destin se libère de sa chaîne il ne reste que la trame de l’histoire.

(*photo masques)

La machine est l’écrin funeste de l’ivresse des mots tant reprochée. Mais que reste-t-il sinon la tentative de transcription d’un souffle poétique du Golem que la raison résonnante ne cesse de vouloir désagréger? Il ne comprend pas, il ne comprend plus… d’ailleurs il ne veut plus tenter de saisir l’insaisissable ou même essayer de comprendre ce qui ne peut qu’être vécu et dont il ne reste que le souvenir des vagues mourant sur la plage, au réveil d’un minuit passé… nuit de masques au cœur des terres marines aux couleurs exsangues… transcription n’est pas transmission c’est ainsi.

Image tirée du court métrage surréaliste de Luis Buñuel "Le chien andalou" - 1929
Image tirée du court métrage surréaliste de Luis Buñuel « Le chien andalou » – 1929

Est-ce que la Raison permet de mieux se souvenir? Est-ce que c’est le vertige du vide qui pousse à la mémorisation compulsive des dates et des faits? Est-ce que le “né-en” naît de la fécondation du Néant? Est-ce que la quête de la raison originelle permet d’expliquer ce voyage aux confins d’un centre espéré universel? Est-ce que la Raison explique les “hasards objectifs” qui sont la rencontre des verticalités contraire du Sublime et du Beau hors du chant intellectuel d’un esthétisme mièvre vociférant pour masquer son dénuement le plus absolu… c’est le sens qui aiguise le regard en tranchant l’œil6.  

Si l’initié travaille de Midi à Minuit, l’Artiste luit de Minuit à Midi, toujours en “mal d’aurore” car c’est là  que se récolte, parmi les gouttes de l’eau salée de printemps, “les toiles du Mat tain”, au Nadir de la Raison, apogée de cette intuition que tant nomme déraison. Mais qui est l’alchimiste de cette voie royale? Qui œuvre? Qui parle? Qui écoute?

Assis dans l’herbe douce d’un printemps espéré fertile, l’Artiste regarde vers le “si-elle” et tant pis si il cache ses idées et ses émaux à l’inter-rieur des mots. L’Artiste de la Voie de l’Eau, tout comme l’Initié ignitié de la Voie du Feu ne peuvent être compris… leurs cris ne sont que murmures à peine perceptibles parmi les feuilles tombantes d’un arbre d’automne.

La tentation d'Eve par le serpent - William Blake - 1799/1800 - œuvre inspirée par le poème de John Milton "Le paradis perdu" - 1667
La tentation d’Eve par le serpent – William Blake – 1799/1800 – œuvre inspirée par le poème de John Milton « Le paradis perdu » – 1667

Assis dans l’herbe douce d’un printemps espéré victorieux l’Artiste et l’Ignitié attendent en princes du Doute la morsure adossés contre les anneaux du “serre-pans”. Nahash7 observe, écoute, il ne sait encore à qui il dispensera son venin, mortel à l’incomplet.

“De quel arbre as-tu goûté toi déjà,” persifle-t-il à celui qui l’attend.

“Pour toi ce sera plus tard!” suggère-t-il à celui qui chemine.

Collection permanente du musée des Confluences à Lyon ©Stefan von Nemau
Collection permanente du musée des Confluences à Lyon ©Stefan von Nemau

Au philosophe la ciguë8, à l’énigmatique savant la pomme cyanurée9, au poète l’absinthe, au funambule la marche nuptiale fatale au vertige de lui-même. Entre Nadir et Zénith tous ont en commun ce profond désir d’ascension des empereurs sur ce fil de Lumière reliant l’Étoile du Matin10, fée verte du Nadir à celle de la nuit au Zénith de l’axe cosmique. Tous ont en commun cette muse qui les fera trébucher et retomber, d’apogée en hypogée… Tous ont en commun leur solitude de l’esprit et l’appel du vide rédempteur.

Etude crayon sur papier de l'arcane 13 dans son premier cycle selon Stefan von Nemau - Objet Visuel Non Identifié à venir - 2024
Etude crayon sur papier de l’arcane 13 dans son premier cycle selon Stefan von Nemau – Objet Visuel Non Identifié à venir – 2024

Au cœur du cabinet de réflexion, au cœur de l’ombre grandissante, l’impétrant lègue sa part de lumière à la nuit dans un testament que l’on prétend philosophique… comme pour rassurer l’enfant en regardant si les fantômes sont sous son lit… comme si cela ne comptait pas “pour de vrai”… comme si après on pouvait revenir en arrière…

C’est cet holocauste de “ce que l’on croît être le meilleur de soi” qui permet de payer le nautonier en transmutant ‘l’amor-sur” de Nahash en “pas-sage” de “l’Eau-de-là”.

Le chant d'amour - Giorgio de Chirico - 1914 - Centre Beaubourg ©Stefan von Nemau
Le chant d’amour – Giorgio de Chirico – 1914 – Centre Beaubourg ©Stefan von Nemau

“L’amer t’hume” est le prix de “l’aqua-vit”… le prix de la fécondation du nouveau-né en essence porteur de l’étoile à la lueur d’absinthe. C’est la tête et les gants accrochés au mûr que la sphère de l’Inframonde subréel se découvre et délivre sa Lumière glauque11 à l’immanence transcendante… L’étoile du Nadir se dévoile, cœur vert palpitant… perle de nacre au secret sacré… serment sur le silence de la plus profonde pudeur aux heures pleines de la naissance du jour… appel du Coq errant répondant à l’appel de l’indicible.

La muse Polaris ou Alpha Ursæ Minoris - Série "les hasards objectifs" 2024 ©Stefan von Nemau
La muse Polaris ou Alpha Ursæ Minoris – Série « les hasards objectifs » 2024 ©Stefan von Nemau

Il est un royaume d’où il revient ce passager du vent qu’écoute religieusement le machiniste du Northern Star. Ce royaume d’où il revient est dans le tain d’un miroir qu’Alice12 et Narcisse13 ont traversé. Le passager voulait s’y établir mais… sauf à être une porte soi-même, on ne peut pas vivre dans l’huis14… Cependant ce passager “mots dits” raconta comment le voile propitiatoire de l’hymen de la reine du pôle fût déchiré par “l’Enfant du Matin” lorsqu’il prononça le “non-dit substitué”… il est des “idées-hautes” qui ne peuvent être fécondées si leur Lumière veut rester fertile… il est des courants de Création, des maelströms de Génération qui ne peuvent être emprisonnés dans les photophores pitoyables de la Raison raisonnante et parfois “trébuchiante”.

Ainsi seule l’Œuvre, lorsqu’elle se révèle, est le héraut de la Rencontre. L’Œuvre est la trace éphémère qui subsiste après sa Révélation, ce sont les volutes de l’onde dessinée dans le battement des ailes de la destinée, ce furieux hasard rencontrant son objectivité en embrasant la Raison résonnante d’un revers de Lumière comme on enflamme un testament philosophique pour payer son obole à Charon.

Papillons surréalistes in SURREALISME - Centre Beaubourg ©Stefan von Nemau
Papillons surréalistes in SURREALISME – Centre Beaubourg ©Stefan von Nemau

En cela, la Voie Initiatique de l’Art Royal n’est pas une sur-réalité. Elle est une sub-réalité dont il convient d’aller chercher la tension afin de révéler la sublime Lumière marquant la Porte reliant le Nadir au Zénith. Sans émotion l’art est coquille vide… sans eau le feu est un impensé… sans feu il ne peut y avoir d’ignition… sans ignition jamais l’initié ne brûlera révélant sa majuscule. Délier l’écheveau de l’échafaud c’est enlever le mors de l’âme.

A la première verte lueur de l’aube, le passager du Northern Star disparut dans le dernier battement mécanique. Dans le “feu” de la nuit il avait levé l’ancre sans que personne ne puisse savoir qui était le nautonier et qui était le passager. Peut-être que dans les vapeurs d’encre ils n’étaient qu’un.

Stefan von Nemau pour Les Yeux du Cyclope

  1.  Lire “l’homme qui voulu être roi” de Rudyard Kipling ↩︎
  2. Découvrir l’œuvre de Man Ray ↩︎
  3. Lire ou relire le Petit Prince d’Antoine de St Exupéry ↩︎
  4.  Lire l’Eternaute d’Alberto Breccia ↩︎
  5. Lire Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley ↩︎
  6. Voir le court métrage surréaliste “Un chien Andalou” de Luis Buñuel – 1929 – 21 minutes ↩︎
  7. Lire Apocalypse 22-16 et Livre d’Isaïe 14-12 à 14 ↩︎
  8. Socrate ↩︎
  9. Alan Turing ↩︎
  10. Lire Apocalypse 22-16 et Livre d’Isaïe 14-12 à 14 ↩︎
  11. Glauque : sens 1 : De couleur verte tirant sur le bleu – sens 2 : sordide, sinistre, lugubre ↩︎
  12.  Lire “De l’autre côté du miroir” “Through the looking-glass, and what Alice found there” de Lewis Caroll – 1872 – Suite “D’Alice au pays des merveilles” 1865 ↩︎
  13.  Voir aussi Le Testament de Narcisse par Stefan von Nemau ↩︎
  14. Voir le film Interstellar de Christopher Nolan – 2014 ↩︎

Catalogue de l'exposition Le Surréalisme du Centre Pompidou. Exposition célébrant le centenaire du 1er manifeste du Surréalisme
Catalogue de l’exposition Le Surréalisme du Centre Pompidou. Exposition célébrant le centenaire du 1er manifeste du Surréalisme – Suivre le lien de l’image

La camera obscura

La porte étroite
The wizard of « Ose »

Très cher Visiteur du soir, je vais traiter ici de la Lumière que les ténèbres n’ont pas arrêtée. Je vais aborder ce thème qui m’est cher par mon métier, mes passions et mes quêtes en vous parlant de l’outil le plus simple qui me permet d’en conserver l’image : la caméra obscura.

La Lumière

Quelle pureté que la Lumière, quelle richesse ! Elle est chaleur, énergie, un outil, poésie… Elle permet la Vie et ses Mystères… Elle défie le Temps…

On dit d’elle qu’elle est vérité, langage, but, mystique, initiatique…

Parfois elle est noire, parfois elle est blanche, trop près des yeux elle aveugle, trop loin ils ne peuvent la percevoir…

Parfois elle révèle, parfois elle sauve, parfois elle nous illusionne…

À chaque étape de cette odyssée mes yeux s’affinent un peu plus et peuvent saisir les nuances enfermées dans le Débir de l’Antremonde.

Le paradoxe lumineux

Physiquement, la Lumière est un ensemble de faisceaux d’ondes composé de photons toujours en mouvements. Son spectre s’étend de l’invisible à l’invisible. En photographie il est nécessaire de la mesurer pour en matérialiser l’image.

Il y a deux manières de procéder :

  • La mesure incidente : le posemètre est placé face à la source de lumière. Ainsi il mesure la quantité de lumière qu’elle transmet.
  • La mesure réfléchie : la cellule est tournée vers le sujet photographié ainsi elle mesure la quantité de lumière qu’il réfléchit.

Ainsi la lumière doit être soit vue à sa source, soit être réfléchie par un objet, afin d’être perçue. De plus, c’est grâce à ses différences que la lumière est perceptible.

D’une source à l’autre

Suivons le trajet de la lumière dans notre corps maintenant.

Elle se projette au fond de l’œil. Lors de son passage à travers la cornée l’image projetée au fond de l’œil est inversée. L’œil transforme cette perception en influx nerveux. Il est reçu par le cerveau qui va redresser le tout et interpréter ces informations afin de leur donner un sens en fonction des données de comparaison qu’il a emmagasiné.

On peut en déduire que l’homme ne voit pas la lumière, il en interprète seulement ses effets à l’ombre de son expérience.

Ma vie m’a enseigné que la Lumière Initiatique était souvent assimilée à la Vérité mais comportait aussi sa part d’ombre : le Mensonge. Malgré son apparente clarté, la lumière peut être noire et conduire à la manipulation, l’attachement, la haine, la colère, la peur et l’abandon. Une simple lueur dans la nuit peut rassurer et apaiser les rêves et pleurs d’un enfant. Le flambeau de la Foi et de l’Espérance en l’Amour ne doit jamais être sacrifié sur l’autel du bonheur à moindre coût.

Il est essentiel d’admettre que la vision du formel n’existe que parce qu’il est éclairé par la lumière et son ombre. C’est cette différence de perception, entre l’ombre et la lumière, qui permet d’écrire une image dont le sens dépend là aussi toujours du point de vue d’où on l’observe.

Enfin, en tant que Voyageur et selon le prologue de l’évangile de Jean :

Au commencement était le Logos, la parole de Dieu, et le Logos était auprès de Dieu, et le logos était Dieu …/… En Lui était la Vie et la Vie était la Lumière des hommes; la Lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée …/…

Ainsi l’image s’écrit grâce à la Lumière tirée de notre Chaos, notre béance originelle.

Le téméraire qui ose regarder le soleil sans ombre devient aveugle, et alors pour lui, le soleil est noir .

Inspiré d’une citation d’Eliphas Lévy reprise par André Breton dans Arcane 17

Marcher vers l’Aletheia

Cher Visiteur du soir, si nous sommes ensemble ici et maintenant c’est que nous sommes des Voyageurs. Nous marchons vers cette Lumière, vers ce Logos, cette Vérité qui se conçoit sans jamais pouvoir être atteinte, ce concept que les grecs anciens nommaient Aletheia.

Lors de notre Voyage en Antremonde, nous effectuons diverses circumambulations qui nous amènent à la Lumière après un parcours initiatique dont un des buts est d’habituer nos yeux à la clarté qui nous sera dévoilée.

Le processus alchimique advient naturellement. Le Voyageur chemine afin de reconstituer son unité originelle, l’Adam Kadmon de la Kabbale. Il progresse dans l’espoir de passer de l’état de glaise à l’état de prisme pur afin de révéler la diversité des couleurs contenues dans la Lumière ainsi réunifiée.

De trace nul ne laisse (extrait) - 7 ex - Encres pigmentaires - 30 x 90 cm
De trace nul ne laisse (extrait) – 7 ex – Encres pigmentaires – 30 x 90 cm

Le Logos pour oublier l’oubli

De tous temps les hommes ont cherchés à reproduire ce qu’ils percevaient. La découverte des pigments permit les premières peintures rupestres. Ainsi, grâce aux premiers chamans, l’histoire et l’identité des humains et leurs tribus ont pu être fixées. Puis vinrent la peinture, l’écriture, l’encre, le pinceau, l’imprimerie… pour toujours être au plus proche de la représentation du Logos.

La béance pour origine

Lorsque la lumière du jour est filtrée à travers un minuscule trou dans une pièce par ailleurs plongée dans l’obscurité totale elle projette sur la paroi opposée une image inversée. C’est avec cette description de la chambre obscure (camera obscura) que Léonard de Vinci découvre, trois siècles avant l’apparition de la première photographie, le principe optique de l’appareil photographique. Cependant, c’est un chinois, Mo Ti, qui au 5ᵉ siècle avant JC est le premier à décrire le phénomène de la projection d’image à travers un petit trou. »

Ainsi commence le livre « la photographie au sténopé » d’Eric Marais. Il continue en y associant le mythe de la caverne de Platon.

Au 15ᵉ siècle de nombreux artistes se serviront du sténopé pour reproduire fidèlement les perspectives changeant ainsi l’histoire de la représentation du réel.

Et les humains quittèrent le Moyen Âge.

La camera obscura : une Pierre noire

Une camera obscura est une boite creuse dont l’intérieur est noir. Sur une des faces est pratiqué un trou circulaire : le sténopé.

Ce trou, béance du Chaos, est fait au centre de cette face. Le diamètre de ce trou est proportionnel à la distance qui le sépare de sa face opposée, c’est la distance focale. Je rappelle que ma démonstration s’appuie sur une représentation du réel. Or, pour être fidèle au réel, la face opposée au sténopé doit être parallèle à celui-ci. L’axe vertical de cette boite devra être parallèle au sujet appréhendé. La face opposée au sténopé sera équipée d’une surface photosensible : des sels d’argent, de silicium ou vous-même. Enfin, la caméra obscura sera posée sur un pied, généralement un tripode pour être exact.

L’épreuve du Temps

Le sténopé sera ouvert pour que l’image se forme à l’intérieur de la boite. Du fait de la petitesse du sténopé, le temps de pose s’étend de plusieurs secondes à plusieurs heures selon la quantité de lumière reçue et la sensibilité du récepteur.

Un laboratoire alchimique

Une fois exposé, le film est extrait en chambre noire puis développé. L’agrandisseur va projeter le négatif révélé un papier lui aussi enduit de sels d’argents. Ce papier sera développé grâce à un révélateur, un fixateur, un acide, le tout sous une lumière inactinique rouge ou au sodium de couleur ambrée.

Le laboratoire alchimique de Stefan von Nemau 2
Le laboratoire alchimique de Stefan von Nemau

L’épreuve de la perception

Les yeux de ceux qui verront cette image transmettront à leur cerveau les informations pour qu’il puisse recevoir ce qui a été saisi.

L’épreuve de la vacuité

Cependant la photographie au sténopé ne fige pas l’image dans une apparente immobilité, elle embrasse le Temps. Vu son temps de pose très long, est net ce qui est strictement immobile selon le point de vue de l’observateur et souvent, est immobile ce qui n’est pas du domaine appelé « du vivant ».

Le sténopé révèle ainsi l’impermanence des choses : la vacuité.

Pour percevoir, les yeux ne suffisent pas

Je pense avoir fait le lien entre notre odyssée en Antremonde et la construction de notre camera obscura en expliquant le processus de développement de l’image témoin du souvenir.

On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux.

Antoine de Saint Exupéry

Ainsi pour « perce-voir », les yeux ne suffisent pas.

Stefan von Nemau
Stefan von Nemau, autoportrait surréaliste

L’écrin sacré

C’est dans l’écrin sacré du corps, de l’âme et de l’esprit que naît le sens profond et spirituel de nos perceptions.

Accéder à la Connaissance

Un soir, il m’a été murmuré : « Il est amusant de constater que lors de notre Voyage on reçoit la Lumière alors qu’on la porte en nous ».

Ma vision est que cette quête d’absolu permet de réunifier la Lumière qui a été emprisonnée éparse dans le Temps et la matière.

Pour accéder à la Connaissance le Cœur se doit de pardonner, l’Esprit d’oublier et le Corps de vibrer.

Lâcher prise et accepter

L’Aletheia est un Idéal de Vérité propre à chacun et Universel. Cette Vérité, cette compréhension intuitive je l’ai d’abord refusée. Une vérité lui ressemblant, galvaudée par les passions humaines, m’avait été transmise en héritage.

Si une vérité peut-être imposée, il appartient à chacun de trouver sa Vérité intime avec l’humilité de ne jamais l’imposer comme système universel.

Si je chemine en Antremonde les yeux « grands fermés », c’est pour que ma Lumière intérieure, grâce aux « cor(p)(s)-nu(e)(s )» du Voyage Initiatique, puisse un jour se relier à la Lumière Universelle dont elle fait partie, par-delà le bien et le mal.

Une quête d’harmonie

J’ai suivi mes circonvolutions et circumambulations. Elles m’ont amené à comprendre que l’aveuglement n’est pas du fait de l’absence de Lumière puisqu’elle est aussi en moi. Ne pas « perce-voir » vient de la dysharmonie entre mes yeux (corps), mon cerveau (esprit) et mon Cœur (âme). Sans harmonie, ils ne peuvent saisir et comprendre les nuances pures et sans attache de la Vie.

Circumambulations

Transcender l’abandon

C’est là que commence ma vraie Foi, mon Espérance.

C’est là la réponse à cette interrogation de Jésus devenant Christ :

Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?

Sans l’abandon du « pair » et le vide de « l’amer », pas de Liberté pour le Fils car il ne peut se transcender.

Sans cet abandon créateur de Liberté, sa Lumière réunifiée, rapportée par Saint Jean, n’aurait pas éclairé « l’Uni-vers ».

« Il » est un univers. La camera obscura est un moyen de l’explorer.

Puissent ces mots t’avoir quelque peu éclairé.

Heureux qui comme Ulysse cher Visiteur du soir…

Stefan von Nemau